REQUIEM Opus 9

(1947)

Ecoutons d’abord ce que dit l’auteur de son œuvre : « D’une façon générale, j’ai surtout cherché à me pénétrer du style particulier des thèmes grégoriens. Ainsi me suis-je efforcé de concilier, dans la mesure du possible, la rythmique grégorienne, telle qu’elle a été fixée par les Bénédictins de Solesmes, avec les exigences de la mesure moderne » .

Si la subtilité de l’harmonie et la légèreté du rythme nous séduisent, il est tout aussi intéressant de voir comment la monodie grégorienne, qui constitue la trame de ses musiques est diversement exploitée par le compositeur. Il la cite textuellement dans l’Introït, le Sanctus ou le Lux aeterna du Requiem. Dans le Kyrie, la mélodie grégorienne d’abord confiée aux voix, est ensuite reprise en valeurs longues, sorte de choral joué à la main droite de l’orgue, tandis que le chœur déploie au-dessus d’admirables arabesques. C’est l’un des sommets de l’œuvre.

On a souvent comparé le requiem de Maurice Duruflé à celui de Gabriel Fauré parce qu’il est porteur de paix, de consolation et d’espérance comme celui de son illustre prédécesseur, et que l’on a vu en lui une nouvelle « berceuse de la mort ». Ce jugement mérite d’être nuancé. Certes nous sommes loin des fracas romantiques dans l’une et l’autre œuvre, car leurs auteurs ont tous deux refusé de mettre en musique la terrifiante séquence du Dies irae. Et il semble que Maurice Duruflé ait effectivement pris Fauré comme modèle dans la distribution vocale de certains numéros.

Mais au delà de ces ressemblances de pure forme, l’esprit qui se dégage de l’œuvre de Maurice Duruflé est assez différent : on y relève des passages puissamment dramatiques dans l’évocation de la gueule du lion et des peines de l’enfer (Offertoire), dans celle de la fin des temps et du feu infernal  (Libera) ; l’Hosanna du Sanctus est une fantastique envolée d’une force saisissante ; et que dire du Pie Jesu que Fauré voulait angélique et confiait à une voix d’enfant, alors que Duruflé signe là une page d’un lyrisme poignant destinée à une voix de mezzo dotée d’un vaste registre ?

Malgré ces moments de tension et d’angoisse, le Requiem de Duruflé reste une œuvre profondément intérieure en raison de l’omniprésence du chant grégorien, absent chez Fauré, qui en constitue le fil conducteur et apporte ici la paix de l’âme.  Mieux qu’aucune autre peut-être, cette musique exprime la confiance que l’Homme place en Dieu face à ses craintes et ses doutes. Fauré compositeur agnostique, avait signé une œuvre admirable où la beauté pure laissait transparaître un sentiment religieux, laissé à l’appréciation de chacun. Maurice Duruflé, musicien profondément croyant, nous semble plus proche parce que sa musique nous interpelle fortement ; il nous livre un message très humain : désarroi de l’homme, lutte, mais aussi espoir face à son devenir.